Histoire d'Enuor, le fouilleur de cadavres
Sous mes yeux d'adolescent se déroulait un drame absolu…
Le meulou, monstre de légende peinait à reprendre son souffle tandis que ses plaies ouvertes dégoulinaient de sang.
Autour de lui, quatre énutrofs le maltraitaient à grands coups de pelle, leurs sacs les protégeant de ses assauts, leurs pelles le poussant encore et encore et leurs coffres prêts à fondre sur sa dépouille pour en arracher chaque parcelle de valeur.
Alors, l'un des énutrofs s'éleva dans les airs et, dans un immense cri, leva les bras, les yeux tournés vers les cieux :
— Pelle massacrante !
Un objet lourd et imposant surgit de nulle part pour s'écraser sur le meulou avant de disparaître dans un éclat de verre brisé et de métal tordu. La bête ne put résister à cet ultime sort et s'effondra sur le sol, soulevant des volutes de poussière.
Le vieillard qui flottait dans les airs rejoignit bientôt le sol et s'approcha près du cadavre trempé de son adversaire.
Moi, j'assistais à cette scène dans un coin, horrifié. Mais je ne pouvais rien faire ; je n'avais pas le droit d'intervenir.
L'énutrof qui dépeçait maintenant l'imposante silhouette n'était autre que mon père et moi, j'assistais en temps réel à la première leçon de l'art que tout disciple de ma classe et,
a fortiori de ma famille se devait de maîtriser : la fouille de cadavre.
Je n'eus de cesse de pratiquer cette exquise activité lors des nombreuses années qui composèrent ma vie, récupérant objets de valeurs et ressources de choix dans la confection d'équipements. Je vendais tout et amassais une fortune considérable.
Un jour, toujours dans le but d'accroître encore et encore le nombre de mes kamas, je fus entraîné par un joyeux groupe d'aventuriers vers la tanière du puissant dragon cochon afin de, peut-être, réussir à lui dérober son œuf de dragon…
Nous étions six : deux crâs, une jolie sadidette et son mari, un écaflip au visage arrogant, moi-même, ainsi qu'un iop vêtu d'une étrange coiffe pointue et d'une cape élimée à l'allure à la fois digne et indifférente et au regard froid comme les plaines verglacées du continent de frigost.
Nous commençâmes le donjon et nous finîmes par venir à bout du demi-boss à l'issue d'un combat bref et impitoyable.
Alors, quatre des aventuriers qui nous accompagnaient prirent une potion de Bonta et la burent, nous laissant ici tous les deux, le iop et moi, seuls.
Nous nous regardâmes et d'un coup d'œil interrogateur je lui demandai s'il était prêt à affronter le boss à mes côtés. Il hocha la tête. Bien sûr, suis-je bête. Un iop est toujours prêt au combat.
Celui-ci fut bien plus intense et serré et la victoire nous échoua de peu. Pour remercier mon compagnon de son aide, je décidai de l'inviter chez moi, à Bonta, à prendre un verre, dans ma maison.
Ce qui était parti pour être une soirée merveilleuse, dans une journée qui l'était tout autant se transforma bien vite en jour tragique, le pire que j'aie jamais vécu. En arrivant devant ma demeure, je compris aussitôt que quelque chose n'allait pas, que ce que je redoutais de pire s'était produit : j'avais été cambriolé.
En réalité, et comme je le compris plus tard, les cambrioleurs étaient toujours à l'intérieur quand nous arrivâmes. Ils sortirent quelques instants plus tard en nous tirant dessus. Je fus atteint et sombrai dans l'inconscience.
Le iop, toujours alerte, aurait pu décider de les poursuivre et de sauver mon précieux butin, mais il fit un choix tout autre et préféra me sauver la vie à l'aide de sa baguette rhon. Aujourd'hui, enfin, je suis en mesure de comprendre qu'il a bien fait.
C'est de lui que je sais que les cambrioleurs ne sont autres que les quatre aventuriers qui nous ont abandonné lors de notre expédition. Ils n'avaient pas jugé utile d'informer le iop de leurs projets puisqu'ils le considéraient comme trop stupide pour qu'il puisse leur être d'une quelconque utilité. Ils firent bien. Ce iop qui m'avait sauvé la vie devint mon meilleur ami. Il s'appelait Ekron.
Avec les quelques sous qu'il avait mis de côté, il m'aida à me racheter une maison et un équipement qui me permettrait de ramasser des objets de valeur plus facilement ; il fut convenu qu'il m'accompagnerait lors des donjons ce qui réduisait mon besoin de puissance.
Il me tenta de m'intégrer aux siens, les disciples de la dragonne Ryushira, mais ça ne colla pas très bien entre nous, ils avaient des exigences trop démesurées. Un membre de cette guilde, l'énutrof Toxico-Saa, me présenta une gentille crâtte du nom de Mama-nowel. La guilde que menait celle-ci, moins agitée et plus intéressée par le membre en lui-même plutôt que par sa puissance, me convenait plus. Je fis une demande d'intégration et, à ma grande joie, je fus accepté.
Aujourd'hui, après tous les événements tragiques qui ont rempli ma vie, je suis fier de qui je suis devenu.
Je m'appelle Enuor, disciple d'Énutrof le riche, fouilleur de cadavres et membre de la guilde Thief of Hearts.
Pour le pire, mais surtout pour le meilleur.